Depuis des temps anciens, le hareng appartient à l’alimentation de base de nombreux pays, dont la Corée, où ce poisson appelé gwamegi , après avoir été exposé à l’air marin, se consomme séché, le plus souvent enveloppé d’algues fraîches ou lyophilisées, d’ail et de légumes, mais aussi dans d’autres préparations aux recettes plus traditionnelles.
Très consommé dans le monde entier, le hareng, ce poisson à l’étroit dos bleu et au ventre argenté, se rassemble en bancs évoluant dans les courants côtiers froids à des températures comprises entre 2 et 10°C et par 150 mètres de profondeur minimale. Sa pêche dans les eaux coréennes fournit des prises des plus irrégulières, mais elle s’est avérée particulièrement abondante cet hiver.
« C’est du lieu jaune que l’on mange le plus souvent, mais c’est le hareng qui est le plus goûteux » affirme un vieil adage au sujet de ces deux poissons particulièrement consommés en Corée aux côtés de la morue.Le terme cheongeo, qui signifie littéralement « poisson bleu », désigne en réalité les différentes espèces qui se rassemblent en bancs, dont le hareng de l’Atlantique Nord (Clupea harengus) consommé en Europe du Nord ou celui du Pacifique (Clupea pallasii) pêché au large des côtes de l’Asie du NordEst et de l’Amérique du Nord.Alors que des poissons blancs tels que la morue ou le lieu jaune possèdent une faible teneur en graisses, celle du hareng peut atteindre 20 %, car ce dernier, qui évolue dans des eaux froides et fraie de l’hiver au printemps, commence à grossir dès la fin de l’automne. Il se caractérise, en outre, par une chair riche en acides aminés libres, dont laglycine et l’alanine qui confèrent à la chair sa saveur sucrée.Intitulé Uhae ieobo, c’est-à-dire « registre des poissons rares de la mer de Jinhae », le plus ancien traité coréen sur les poissons, que rédigea en 1803 Kim Ryeo (1766-1821), fait état de ce poisson « à la chair tendre et d’une saveur douce des plus délicieuses lorsqu’il est grillé », un point de vue que partage aujourd’hui le chef Park Chan-il, également écrivain à ses heures. Dans son livre La moitié des souvenirs vient du goût paru en 2012, il évoque une grillade dont il se délecta en compagnie d’un ami pendant qu’il séjournait à Sokcho, une ville de la côte est : « Par un jour venteux d’hiver, ce poisson qui avait cuit au feu de charbon de bois avec du gros sel s’avéra être d’une agréable saveur douce ».
DES RECETTES VARIÉES
Les manières d’accommoder le hareng diffèrent selon les régions et, dans celles du littoral oriental dont il provient le plus souvent, il se consomme cru et accompagné d’une sauce ou d’autres condiments. Il peut aussi ser vir à confectionner un bouillon pour y faire mijoter le riz d’une bouillie ou une soupe à la sauce de soja à laquelle on l’ajoutera après l’avoir fariné, trempé dans de la pâte et fait frire ou braiser. Les habitants de la province de Gyeongsang, qui borde le sud-est de la péninsule, préfèrent pour leur part le manger en ragoût, tandis que des s anciens attestent que ceux de la province de Jeolla, qui se situe à l’opposé, avaient coutume de l’agrémenter de concentré de piment rouge après avoir fait cuire à la vapeur quantité de ce poisson placé dans un chaudron. Toutefois, pour savourer au mieux le hareng, il convient de le faire dorer sur le gril, après l’avoir saupoudré de gros sel, ce qui permet d’obtenir une chair moelleuse et un agréable goût légèrement sucré, Park Chan-il précisant à ce propos : « Le hareng étant un poisson très gras, la cuisson sur le gril se fait dans la graisse qu’elle libère et qui lui donne toute sa saveur ».
La chair des poissons de mer renferme un composé azoté non protéique appelé oxyde de triméthylamine (TMAO) qui contribue à maintenir un équilibre constant entre l’eau de mer et la salinité du corps, sa décomposition en triméthylamine (TMA) sous l’action des micro-organismes s’accompagnant de la production de l’odeur caractéristique du poisson. Comme la teneur en graisses s’élève considérablement pendant l’hiver, la présence d’acides gras polyhydriques augmente tout aussi fortement et ces derniers rancissent alors d’autant plus vite. Afin d’atténuer la forte odeur qui en résulte, l’emploi de doenjang , un concentré de soja, se révélera efficace soit en l’ajoutant à un ragoût, soit en enduisant le poisson de ce condiment avant de le poser sur le gril. Non seu-lement les substances aromatiques de ce condiment masqueront alors les eff luves désagréables, mais ses protéines empêcheront aussi leur émission en s’amalgamant avec la substance qui en est responsable.
Les modes de préparation du hareng ne se sont guère renouvelés depuis les années 1990 et le quotidien Dong-A Ilbo, dans son numéro du 27 janvier 1996, soulignait à ce sujet : « De nos jours, on sert rarement le hareng cuisiné à la mode de la région de Gyeonggi, c’est-à-dire en ragoût à la sauce de soja, en marinade ou en bouillie. » Les rendements de la pêche au hareng sont depuis toujours irréguliers, car ce poisson présente la particularité de beaucoup se déplacer. Tantôt ses troupeaux nombreux suivaient les courants froids et faisaient l’objet de l’une des pêches les plus importantes, tantôt ils disparaissaient subitement et parfois pendant dix ans. Un ouvrage ayant pour auteur Ryu Seong-ryong (1542-1607) et pour titre Jingbirok , c’est-à-dire « rapport de pénitence et de mise en garde », en retraçant l’histoire des invasions japonaises de la fin du XVIe siècle, fait mention d’un curieux phénomène qui se produisit peu avant le début des conf lits : « On pêcha les habituels poissons de la mer de l’Est dans la mer de l’Ouest et, peu à peu, jusque dans le Han ; alors que les harengs peuplaient en abondance les eaux de Haeju, leur pêche cessa alors pendant plus de dix ans, car ils s’étaient déplacés vers la mer de Liaohai, au large de la péninsule de Liaodong, en Chine, où ils étaient appelés xinyu [« nouveau poisson »] ».
Dans le traité encyclopédique Jibong yuseol, c’est-à-dire les « thèmes de discussion de Jibong », Yi Su-gwang (1563-1629) apporta en 1614 une explication analogue au fait que les harengs, jusquelà présents à profusion dans la mer du Sud-ouest quand arrivait le printemps, en avaient disparu voilà quarante ans. L’amiral Yi Sun-sin (1545-1598) indiquait quant à lui, dans sa « chronique de Guerre » intitulée Nanjung ilgi,que leur pêche et leur échange permettaient de se procurer des vivres pour les soldats.
Enfin, l’érudit Yi Ik (1681-1764) se réfère aux écrits de Ryu Seong-ryong dans son ouvrage Seongho saseol, c’est-à-dire « explications diverses de Seongho », pour rechercher l’origine de ces faits. À l’époque où Ryu Seong-ryong rédigea son livre Jingbirok , les harengs évoluaient exclusivement dans les eaux situées au large de Haeju, cette ville de la province de Hwanghae, alors que, sous le royaume de Joseon, les prises étaient réalisées dans toutes les eaux bordant la péninsule. Cet auteur déclare que le hareng « se pêchait à l’automne dans la province de Hamgyong [située dans le nord-est de la péninsule] » et, par la suite, qu’il « se déplaçait vers les provinces de Jeolla et de Chungcheong [respectivement situées dans le sud-ouest et dans l’ouest] quand venait printemps. C’était à cette saison, ainsi qu’en été, que l’on pratiquait sa pêche dans la province de Hwanghae [qui se trouve plus au nordouest] entre le printemps et l’été, mais sa taille diminuant au fur et à mesure de sa migration vers l’ouest, cette espèce allait devenir plus commune et accessible à tous ».
Appelé gwamegi , le hareng séché à la fraîcheur de la brise marine fournit un délicieux mets d’hiver à la consistance moelleuse et à la texture huileuse. Ces petits morceaux de hareng séchés sont consommés enveloppés dans des algues avec des gousses d’ail émincées, du piment et des tiges d’ail.
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LE SÉCHAGE
À Yeongdeok, qui se situe dans la province du Gyeongsang du Nord, comme dans bien d’autres villages de pêcheurs de la mer de l’Est, le séchage des harengs est effectué l’hiver. Après les avoir étêtés, les villageois les font geler et dégeler plusieurs fois au vent de la mer pour obtenir un savoureux gwamegi exempt de toute odeur forte.
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Yi Ik émit l’hypothèse selon laquelle les changements considérables qui intervenaient dans la population de harengs et leurs prises s’expliquaient par l’adaptation de ces poissons à l’évolution du climat et de l’environnement et, quoique formulée voilà deux siècles et demi, cette supposition allait s’avérer exacte. Une analyse réalisée par l’Institut national des sciences halieutiques sur les prises réalisées entre 1970 et 2019 dans les eaux qui baignent la péninsule coréenne a montré que celles de la mer de l’Est augmentaient proportionnellement à la température de l’eau, tandis que celles de la mer de l’Ouest lui étaient inversement proportionnelles.
En outre, cette étude met en évidence l’inégalité des quantités pêchées au cours des cinquante dernières années, puisqu’elles sont passées du poids de cinq mille tonnes par an auquel elles s’élevaient jusqu’au début des années 1970 à moins de mille tonnes à la fin de la première moitié de cette même décennie. À partir de la fin de la décennie suivante, ce chiffre allait amorcer un rebond qui allait le porter à vingt mille tonnes en 1999, après quoi il allait à nouveau chuter et passer à deux mille tonnes en 2002. Une recrudescence interviendra trois ans plus tard et les prises effectuées en 2008 atteindront 45 000 tonnes, une embellie qui allait se poursuivre l’année suivante, à tel point que, le 20 décembre 2009, la chaîne de télévision KBS annoncera le grand retour du hareng dans son journal télévisé diffusé aux heures de grande audience. Il y sera précisé que ce poisson, qui se déplace d’ordinaire avec les courants froids, se prête désormais à la pêche non seulement dans la mer de l’Est, mais aussi dans celles, plus chaudes, du Sud-Est et du Sud, la production de gwamegi pouvant dès lors reprendre dans la ville de Yeongdeok située dans la province du Gyeongsang du Nord.
Alors que le gwamegi en question désigne le hareng séché, les prises réalisées au large des côtes de la province du Gyeongsang du Nord portaient alors surtout sur du balaou, dit « kkongchi» en coréen, car celles du premier avaient fortement diminué à partir des années 1960. Dans une chronique du Dong-A Ilbo datée du 9 mai 1939, l’ichtyologiste Jeong Mun-gi (1898-1995) n’estimait-il pas que ledit gwamegi constituait désormais l’une des principales spécialités de la région ? De nos jours, les Coréens le consomment souvent enveloppé dans des feuilles de légumes tels que le chou, ainsi que de plantes marines telles que l’algue crue ou séchée, tandis que leurs aînés le faisaient griller ou cuire dans une soupe avec de l’armoise.
L’origine du terme qui le désigne n’est pas connue avec exactitude. Sous le royaume de Joseon, l’illustre érudit Seo Yu-gu (1764-1845), dans sa « relation des activités de chasse et de pêche » intitulée Jeoneoji , rapporta que l’on attachait les harengs entiers les uns aux autres au moyen d’une corde de paille tressée avant de les suspendre au soleil pour les faire sécher, ce qui permet d’en conclure qu’ils n’étaient pas découpés au préalable. L’auteur indiquait en outre que, ce lien passant souvent à travers leurs yeux transparents, ils étaient alors désignés par les mots gwanmok qui signifient « yeux crevés », d’aucuns affirmant que de là viendrait le terme de gwamegi .
Si le séchage du hareng entier ne constitue pas le procédé le plus fréquemment employé, il n’en est pas moins parvenu jusqu’à nos jours. Une méthode plus courante consiste à découper le poisson en deux, après en avoir retiré intestins et arêtes, puis à le faire sécher à l’air de la mer, ce qui s’avère beaucoup plus lent lorsqu’il est entier, mais surtout bien plus long que dans le cas du balaou, le hareng étant plus gros et gras que ce dernier. En effet, tandis que le séchage du balaou est réalisable en une quinzaine de jours, celui du hareng entier peut prendre pour le moins un mois, cette durée présentant en revanche l’avantage d’obtenir une chair plus goûteuse, que viendra encore rehausser la présence d’œufs au cœur de l’hiver.
pour savourer au mieux le hareng, il convient de le faire dorer sur le gril, après l’avoir saupoudré de gros sel, ce qui permet d’obtenir une chair moelleuse et un agréable goût légèrement sucré,
DES PRISES EN HAUSSE
En fondant agréablement dans la bouche, le hareng grillé redouble de saveur, ses nombreuses et fines arêtes exigeant en revanche certaines précautions. Sa préparation consiste à le nettoyer et à l’écailler, puis à l’entailler sur le dessus et à le saupoudrer de sel, après quoi on le placera sur le gril où il cuira jusqu’à ce que sa chair jaunisse légèrement et acquière une saveur à la fois sucrée et salée.
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Les harengs semblent bel et bien de retour, car les prises en auront été abondantes cette année. À Samcheok, une ville du littoral située dans la province de Gangwon, différents procédés sont actuellement mis au point, dans le cadre d’actions de promotion de sa consommation, en vue de sa transformation sous forme de galettes et de sa préparation en ragoût ou en friture. Selon les informations communiquées par l’Institut national des sciences halieutiques, l’augmentation des rendements de sa pêche, que l’on constate depuis les années 2000, s’explique en premier lieu par la hausse de la température de l’eau en mer de l’Est.
Les chercheurs ne manquent cependant pas d’émettre des mises en garde quant aux dangers de la surpêche et, au vu de l’effondrement des prises qui s’est déjà produit du fait de cette pratique dans l’Atlantique Nord, certains experts vont jusqu’à prôner une interdiction totale de la pêche des jeunes harengs. Le fait est que la pêche excessive à laquelle s’est livrée la Norvège dans les années 1970 a eu pour conséquence de réduire ses prises de hareng à moins d’une tonne et qu’il lui a fallu attendre pas moins de vingt ans pour pouvoir retrouver les volumes antérieurs.La manière précise dont se déroulent les migrations d’importants bancs de harengs demeure méconnue et, si ces poissons peuplent de nouveau les eaux de la mer de l’Est, leur présence reste limitée par ailleurs en Asie du Nord-Est pour une raison encore inexpliquée, notamment dans la mer de l’Ouest [ou mer Jaune] et dans les eaux entourant l’île japonaise d’Hokkaido. En conséquence, il convient de pêcher cette espèce avec modération et de veiller à sa protection, tout comme à celle de l’ensemble de la nature.