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2022 SPRING

Le couronnement de la « Joseon pop »

Genre issu d’une fusion de la musique pop occidentale et du gugak traditionnel coréen, la nouvelle « Joseon pop » devrait ouvrir de plus larges perspectives d’essor à la K-pop qui l’a précédée, mais, si elle occupe désormais le devant de la scène, elle n’y a pas fait son apparition du jour au lendemain.

Le groupe sEODo Band en concert au Parc olympique de Séoul en décembre dernier, dans le cadre de sa tournée nationale lancée par l’émission de concours de chansons PungnyuDaejang (maîtres des arts), un divertissement télévisé de la chaîne câblée JTBC qui se spécialise dans la fusion de la pop et du gugak et, ce faisant, contribue à un regain d’intérêt pour ce genre traditionnel.
© JTBC, ATTRAKT MJTBC

« Tout en considérant que le gugak fait partie d’eux-mêmes, ils le trouvent aussi plus décalé que n’importe quelle autre musique », déclarait un jour un romancier et mélomane coréen à propos de la place qu’occupe la musique traditionnelle depuis le XXe siècle. Ce genre si authentiquement coréen qu’ils chérissent et perpétuent de génération en génération n’est pourtant pas le reflet des sensibilités actuelles, et, voilà peu, certains le disaient même en voie de disparition, car l’idée qu’il appartenait au passé s’était beaucoup répandue.

Paradoxalement, cette image qui représentait un obstacle à l’évolution du gugak allait favoriser la naissance de la « Joseon pop », ce genre nouveau qui l’a tiré de l’oubli sous une forme plus raffinée susceptible de séduire et d’étonner le public. Il ne s’agissait pourtant pas d’un phénomène inédit, car la musique traditionnelle coréenne n’a, en réalité, jamais cessé de s’adapter à son temps en se dotant d’une nouvelle sensibilité et la revoilà aujourd’hui sur le devant de la scène après un long silence.

 

En octobre 2015, Kim DukSoo (deuxième à partir de la gauche) et la Troupe d’art traditionnel Cheong Bae se sont produits ensemble au Gwanghwamun Art Hall. Créé en 1978, le quatuor de percussions Kim DukSoo&Samulnori s’est produit dans de nombreux concerts, en Corée comme à l’étranger, et son succès ne se dément pas. De son côté, la troupe d’art traditionnel CheongBae se consacre depuis plus de vingt ans à une originale création musicale inspirée des arts du spectacle traditionnels.
© Samulnori Hanullim

Une défense bénéficiant d’appuis
Depuis la fin du siècle dernier, les soutiens apportés par l’État ont joué un rôle crucial non seulement dans la conservation du patrimoine musical, mais aussi dans l’apparition d’un genre tout à la fois nouveau et ancré dans la tradition. Quel que soit le pays où l’on vit, la musique traditionnelle apparaît comme un genre totalement coupé des réalités actuelles et celle de Corée n’y fait pas exception. Les heures sombres de l’occupation coloniale japonaise (1910-1945) et de la guerre de Corée qui lui a succédé en 1950 ont provoqué la perte de précieux biens culturels dont participait la musique, leur reconstitution s’étant avérée difficile par la suite en raison des troubles politiques et difficultés économiques survenus dans l’après-guerre. Au cours de la décennie suivante, dans le contexte de l’industrialisation et de l’urbanisation à marche forcée de la Corée, la musique traditionnelle allait se trouver marginalisée, voire dévalorisée, car assimilée à une forme d’expression artistique prémoderne.

En dépit des crises que traversa le pays, les pouvoirs publics ne privèrent jamais le monde de la musique traditionnelle de leur soutien, aussi discret fût-il, et ce, jusque sous le joug de l’occupant japonais, où cet appui était assuré par l’Institut de musique de la maison royale des Yi. C’est au statut désigné par ces derniers mots qu’avait été réduit le royaume de Joseon, une fois déchu de sa souveraineté, et avec lui, avaient disparu tout ou partie des représentations musicales qui accompagnaient les cérémonies de la cour. Dans ce contexte des plus hostiles, l’Institut royal de musique ne parvint pas moins à préserver ces traditions en attirant des élèves pour les initier à la musique de cour. Par la suite, alors que faisait rage la guerre de Corée, qui avait débuté quelques années à peine après la Libération et la proclamation de la République de Corée, le Centre national du gugak allait voir le jour à Busan, la ville que le pays avait prise pour capitale provisoire. Cet organisme rassemblait en son sein tout ce que le pays en proie au conflit comptait encore comme ressources musicales et musiciens sur son territoire. À partir de 1953, année de la conclusion de l’armistice, il aura son siège à Séoul et deviendra la principale institution chargée de la défense de la musique traditionnelle, mais aussi de son évolution par le biais de créations modernes.

Neuf ans plus tard, l’adoption de la loi sur la protection du patrimoine culturel représentera une importante avancée dans ce domaine en mettant en place un dispositif d’envergure nationale destiné à répertorier les domaines culturels et artistiques traditionnels devant être conservés au titre de biens du patrimoine culturel immatériel et à définir les modalités d’un soutien à l’intention des artistes ou exécutants classés dans la catégorie des « détenteurs d’un titre » ou des « éléves certifiés ». Les prestations culturelles officiellement reconnues par l’État comportaient le Jongmyo Jeryeak, cette musique rituelle interprétée en l’honneur des rois défunts, les chants lyriques dits gagok, l’opéra narratif appelé pansori, le daegeum sanjo un spectacle composé de solos de flûte traversière en bambou, et le Gyeonggi minyo, qui regroupe les chants populaires de la province de Gyeonggi. On notera avec intérêt que, dans le nouveau classement des différents domaines de la musique traditionnelle coréenne qui a été établi récemment, des élèves certifiés figurent en premier lieu parmi les spécialistes des arts déclarés appartenir au patrimoine culturel immatériel national. Il s’agit de Yoon Jeong Heo, la joueuse de cithare à six cordes dite geomungo sanjo du groupe Black String, d’Ilwoo Lee, le joueur de hautbois à anche double du groupe Jambinaï spécialisé dans le piri jeongak et le daechwita, qui sont respectivement des genres musicaux de cour et militaire, ainsi que du chanteur de pansori Ahn Yi ho appartenant au groupe LEENALCHI et du chanteur Lee Hee-moon, interprète des chansons populaires de la province de Gyeonggi.

Premier chanteur du groupe BTS, Jimin a exécuté la traditionnelle danse des éventails lors des Melon Music Awards de 2018. Lors de cette manifestation de fin d’année, BTS a présenté son single IDOL, qui met à l’honneur la danse à trois tambours de J-HOPE et la danse des masques de Jungkook pour le plus grand plaisir du public.
© Kakao Entertainment Corp.

Un public enthousiaste
Créé en 1959, le Département de musique coréenne de l’Université nationale de Séoul a ouvert la voie à la recherche universitaire dans le domaine de la musique traditionnelle et incité d’autres établissements d’enseignement supérieur à se doter à leur tour de telles unités d’études. Présentes en grand nombre à partir des années 1970 et 1980, celles-ci allaient former des artistes qui s’illustreraient par la suite sur la scène musicale et, ce faisant, favoriser un retour en force de la musique traditionnelle.

Contrairement à leurs aînés qui virent dans l’histoire tumultueuse du XXe siècle une menace à la continuité des traditions, ces nouveaux musiciens titulaires de diplômes universitaires estimaient que, outre la nécessaire conservation de l’héritage du passé, un renouvellement de la musique traditionnelle s’imposait pour accroître son audience. Dès lors, ils allaient s’attacher à faire preuve d’inventivité dans leurs compositions traditionnelles en les agrémentant d’éléments plus actuels. L’acception que l’on donnait alors au mot « création » était assez large, car s’étendant à des œuvres récentes inspirées de thèmes de chansons populaires ou de célèbres opéras narratifs du genre dit pansori, ainsi qu’aux arrangements de musique classique occidentale interprétés à l’aide d’instruments traditionnels coréens.

C’est ainsi qu’allait naître, à la fin des années 1970, un genre bien particulier qui allait contribuer à la vulgarisation de la musique traditionnelle, à savoir le samulnori, qui fait appel à un ensemble de quatre percussionnistes. Ses exécutants y reprennent les rythmes entraînants de la musique villageoise en frappant avec engouement sur leur buk, leur janggu, leur kkwaenggwari ou leur jing, qui sont respectivement un grand tambour, un tambour en forme de sablier, un petit gong et un gong. Des groupes de jeunes musiciens ont livré de fascinantes interprétations de ce genre en mettant à profit les caractéristiques de ces quatre instruments devant un public qui se manifestait avec enthousiasme, enhardi par leurs rythmes éloquents, ce qui a permis en outre de libérer la musique traditionnelle du carcan dont elle avait longtemps été prisonnière.

Les évolutions
Les années 1980, époque de forte expansion du marché de la musique pop, ont vu apparaître une nouvelle version de minyo dont les rythmes et mélodies se différenciaient de ceux de la musique traditionnelle. De par leur caractère résolument populaire, ces compositions à succès dites « chansons pop gugak » allaient atteindre un large public, puis ce fut au tour du « gugak de fusion » d’entrer en scène pendant la décennie suivante, avec ses accompagnements mêlant instruments coréens et occidentaux.

La mondialisation effrénée qu’allait connaître la Corée à partir de 1988 et des Jeux olympiques de Séoul allait également favoriser l’évolution du gugak, car la population, confrontée à un marché ouvert à la concurrence, à de nouvelles règles commerciales et à l’irruption d’influences occidentales dans son quotidien, commençait à éprouver un regain d’intérêt pour sa propre culture. Parmi les chansons à succès qui fleurirent dans ce contexte sociologique, figurait Sintoburi, de Bae Il-ho (1993), dont le titre signifie « le corps et la terre ne peuvent être séparés » et qui visait à encourager les Coréens à consommer les produits de l’agriculture nationale. Sorti en salle en cette même année, le film d’Im Kwon-taek intitulé Seopyeonje, c’est-à-dire « La chanteuse de pansori », allait attirer un nombre record de spectateurs, ce qui lui a valu d’être aussi connu sous le nom de « film national ». Une publicité pour un produit pharmaceutique datant à peu près de la même époque faisait dire au maître du pansori Park Dong-jin (1916-2003) : « Chérissons ce qui est à nous ! » et son slogan allait longtemps rester dans les mémoires.

Premier chanteur du groupe BTS, Jimin a exécuté la traditionnelle danse des éventails lors des Melon Music Awards de 2018. Lors de cette manifestation de fin d’année, BTS a présenté son single IDOL, qui met à l’honneur la danse à trois tambours de J-HOPE et la danse des masques de Jungkook pour le plus grand plaisir du public.
© Kakao Entertainment Corp.

Autre chanteur de BTS, SUGA interprète, dans le clip Daechwita, la chanson titre de sa deuxième mixtape intitulée D-2 (2020). Cette composition allie avec bonheur les rythmes du rap aux sonorités du daechwita.
© HYBE Co., Ltd.

À l’occasion du six-centième anniversaire du choix de Séoul comme capitale de la Corée, le gouvernement, désireux de relancer le secteur du tourisme, allait déclarer 1994 à la fois « Année du voyage en Corée » et « Année du gugak », cette musique traditionnelle étant alors mise en valeur aux côtés d’autres produits culturels susceptibles de plaire aux voyageurs étrangers. Quelques années plus tard, la crise financière asiatique allait durement frapper le monde coréen de l’art et de la culture, nombre de musiciens traditionnels en venant alors à s’interroger sur la possibilité que leur offrirait la poursuite d’une activité consacrée à ce genre pour subvenir à leurs besoins.

À la fin des années 1990, l’avènement de l’Internet allait faire connaître des musiques venues d’ailleurs aux musiciens traditionnels comme au grand public, qui découvraient ainsi l’existence d’un genre appelé « musique du monde » qui englobe les traditions musicales de divers continents ou régions, et c’est ainsi que des compositions en provenance d’Asie du Sud ou d’Afrique allaient fournir une riche source d’inspiration aux musiciens d’autres parties du monde. Alors que les spectacles de musique coréenne traditionnelle donnés à l’étranger limitaient jusque-là leur répertoire aux classiques du genre, toujours plus de créations issues d’une fusion avec d’autres influences allaient figurer au programme de festivals de musique internationaux pour le plus grand plaisir du public. L’ensemble de percussions Puri, que dirige le compositeur Won Il, de même que le groupe de musique du monde GongMyoung, se situaient à l’avant-garde de cette tendance.

Dès lors, il semblait toujours plus évident que, pour perpétuer la tradition tout en faisant preuve de créativité, il importait de savoir la faire évoluer et se transformer. Lors de l’inion du chant populaire Arirang sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, l’UNESCO allait justifier cette décision par le fait que cet air était toujours chanté par les Coréens et qu’il en existait différentes versions.

 

Capture d’écran du concert en ligne Minyo donné par le chanteur Lee Hee-moon et diffusé en temps réel sur le moteur de recherche Naver en juillet 2021. De style fantastique, cette image diffusée avant le concert représente le personnage du même nom, dont la création est aussi due à Lee Hee-moon. Ce dernier nom est en même temps un clin d’œil plein d’humour faisant allusion au nom du personnage et une parodie du genre traditionnel du minyo.
Avec l’aimable autorisation de Lee Hee Moon Company

Les synergies et projets communs
La « Joseon pop » représente ainsi l’aboutissement d’une longue histoire qui allait créer des conditions favorables à l’apparition de groupes plus connus à l’étranger qu’en Corée, tels Black String, Jambinaï ou LEENALCHI. Fruit de cette même évolution, le festival annuel Yeo Woo Rak a été couronné de succès dès sa première édition proposée en 2010 par le Théâtre national de Corée et, s’il possédait au départ une dimension nationale, il allait se changer par la suite en une célébration pleine de créativité de la musique du monde grâce à de jeunes musiciens à l’inspiration féconde.

Par ailleurs, les artistes dans leur ensemble, tout comme le public, perçoivent eux aussi différemment la musique traditionnelle, comme en témoigne l’émission de concours de chansons Pungryu Daejang (Masters ès arts) qu’a diffusée la chaîne de télévision JTBC de septembre à décembre 2021 et au cours de laquelle de jeunes musiciens livraient leurs expérimentations effrénées devant des téléspectateurs enchantés par leurs compositions aussi raffinées qu’insolites. La tendance actuelle est aussi à la mise en œuvre de projets rassemblant musiciens traditionnels et artistes d’autres domaines, dont le théâtre, la danse, le cinéma, la comédie musicale ou les beaux-arts, chacun s’y consacrant avec dynamisme dans le but d’innover. À ce propos, le chanteur Lee Hee-moon, qui a travaillé en étroite collaboration avec de nombreux créateurs de mode, d’art visuel et de vidéo-clips, déclarait lors d’un entretien récent : « La musique traditionnelle doit bien évidemment demeurer dans toute sa pureté, mais j’y vois souvent aussi une sorte d’arme secrète pour que se renouvelle la création dans d’autres genres ». Il reste à savoir si la fameuse « Joseon pop » parviendra à charmer toujours plus le public international des amoureux de musique du monde en quête de nouveauté.



Song Hyun-min Critique de musique et rédacteur en chef d’Auditorium

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