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2022 SPRING

Des aliments simples, mais non moins délicieux

Les siraegi, ces légumes du printemps jugés jusqu’ici ordinaires, flattent le palais par une agréable saveur sucrée que l’on appréciera d’autant plus après les longs mois froids de l’hiver et à laquelle on ne pourra résister après y avoir goûté.

Tout est bon dans les radis chinois, dont le goût change en outre au gré des saisons. Lors de leur récolte, qui a lieu l’hiver, ils sont découpés, liés en bottes et séchés au soleil et au vent jusqu’à l’arrivée du printemps pour obtenir les siraegi composés de leurs fanes. Ces légumes relèveront de leur saveur les menus de la saison nouvelle, tout en leur apportant une abondance de fibres. Leur goût délicieux se révèle après au moins trois opérations successives de congélation et de décongélation.

Des aliments très appréciés aujourd’hui étaient parfois dédaignés jusqu’ici, car jugés trop communs, comme c’est le cas des siraegi, ces fanes de choux et de radis chinois que l’on faisait sécher autrefois en plein air.

Sur toute la péninsule coréenne, une tradition née dans l’Antiquité veut que l’on confectionne en grande quantité des condiments dits kimchi afin d’en disposer pendant tout l’hiver. Désignés par le terme « kimjang », ces travaux culinaires annuels, auxquels s’ajoutent des procédés de stockage et une coutume du partage, figurent désormais sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Le kimchi d’hiver s’obtient en découpant du chou et du radis chinois dont on relève la saveur par un assaisonnement à base de poireau, d’ail et de piment rouge en poudre, ainsi que de fruits de mer salés et fermentés, les feuilles de radis chinois et les feuilles de chou les plus grandes n’entrant pas dans cette préparation.

Une fois bouillies et séchées, ces deux dernières parties des légumes permettent toutefois de produire ce que l’on appelle des siraegi, lesquels font eux-mêmes partie des ugeoji, c’est-à-dire des feuilles externes des légumes inemployées en cuisine, dont celles du radis chinois et du chou, selon la définition qu’en donnent les dictionnaires usuels de la langue coréenne. Ce dernier terme peut aussi désigner de manière imagée l’«d’un visage aux sourcils froncés » par analogie avec l’aspect peu présentable de ces ingrédients à la saveur insoupçonnée qui se révèle après un séchage adéquat.

Lorsqu’il est en terre, le choux chinois, comme les autres légumes, doit subir les rigueurs du climat, qui abîment ou rendent plus rugueuses leurs feuilles externes, ce qui nuit à leur qualité en les faisant ramollir ou jaunir plus rapidement. En des temps de disette où les plus humbles en étaient réduits à se nourrir d’herbe et d’écorce d’arbre, comment n’auraient-ils pas profité de cette source supplémentaire d’alimentation ? Ils avaient donc coutume de les réserver pour les faire sécher à l’ombre, après quoi ils les hachaient et y ajoutaient une poignée de riz, de résidus de soja du tofu ou de son de blé pour confectionner des bouillies. Quand venait à manquer la nourriture, notamment au printemps, on parlait dans le journal des paysans qui se contentaient de ces préparations composées de siraegi.

Un temps d’adaptation

D’emblée, on pourra ne pas apprécier les siraegi à leur juste valeur et leur odeur évoquera peut-être de froides journées d’hiver où on les faisait cuire dans les cours de fermes. J’avoue moi-même ne pas les aimer, bien que conservant le souvenir attendri de l’agréable vapeur chaude qui emplissait notre maison. Leurs effluves désagréables proviennent des composés soufrés qui sont des produits de la cuisson des feuilles de chou et des fanes de radis chinois, laquelle présente toutefois l’avantage d’atténuer l’amertume et l’acidité de ces parties végétales en leur conférant un goût plus sucré.

Si le chou chinois possède une saveur particulière, c’est en raison de sa forte teneur en acide glutamique libre, que l’on retrouve également dans la racine du radis chinois, mais plus encore dans ses fanes. Naturellement présent dans la viande, ce même acide, aux côtés des composés soufrés, est à l’origine des qualités gustatives des siraegi, d’où la savoureuse alliance de ces deux aliments. Dans un ragoût ou une soupe de siraegi assaisonnée avec de l’ail et du concentré de piment rouge ou de soja, le mangeur croira d’ailleurs déceler un goût de viande que viendra accentuer l’ajout de bouillon d’anchois. À Tongyeong, ce port méridional aux fameuses spécialités culinaires, les arêtes d’anguille se substituent à l’anchois dans la soupe de siraegi.Ceux-ci ne dévoilent pas immédiatement toutes leurs qualités, d’aucuns affirmant qu’il faut les avoir fait goûter entre huit et quinze fois à un enfant pour qu’ils ne le rebutent plus, en particulier sous forme de soupe. Si je n’ai pas souvenir de la première fois que j’en ai mangé, j’ai longtemps fait la grimace quand on m’en présentait, puis, un beau jour, pour une raison ou une autre, je me suis mis à les aimer.

Une fois tombé sous le charme, j’ai commencé à en consommer en les accommodant de toutes les manières possibles, en particulier agrémentés de graines de Perilla, mijotés avec du concentré de soja et d’autres assaisonnements ou dans un bouillon d’os de bœuf. En Corée, le quinzième jour du Nouvel an lunaire est marqué par la célébration d’une fête traditionnelle appelée daeboreum, c’est-à-dire le « grand jour de la pleine lune », qui tombait cette année le 15 février selon le calendrier grégorien. La coutume veut que l’on confectionne à cette occasion des mungnamul, ce qui signifie littéralement « légumes vieux » et de l’ogokbap, un riz aux cinq grains différents. Le premier de ces plats se compose d’ingrédients variés tels que courge, concombre, champignon, citrouille, navet, fougère, aster, tiges de concombre ou épluchures d’aubergine que l’on a séchés et conservés à l’arrivée de l’hiver pour les consommer après les avoir fait bouillir et assaisonnés. Les siraegi sont au nombre de ces différents légumes.

La production de siraegi la plus renommée provient du bassin de Haean, qui se situe dans le canton de Yanggu appartenant à la province de Gangwon, où leur culture est pratiquée à une altitude comprise entre 300 et 500 mètres et bénéficie d’écarts journaliers de température pouvant atteindre vingt degrés en hiver. Ce bassin d’érosion est également connu sous le nom de « Punchbowl » que lui donna un journaliste américain pendant la guerre de Corée.
© Shutterstock

L’érudit Hong Seok-mo (1781-1857), qui vécut dans les derniers temps de la période de Joseon, écrivit, dans l’ouvrage qu’il rédigea en 1849 et qui avait pour titre Dongguk sesigi, c’est-à-dire « relation des coutumes saisonnières des contrées de l’Est », qu’afin d’éviter de souffrir de la chaleur l’été venu, il convenait de manger des légumes séchés à la première pleine lune de l’année. Si cette affirmation peut sembler dépourvue de fondements scientifiques, les qualités nutritives des légumes séchés n’en demeurent pas moins réelles. Après qu’un légume a bouilli et séché, la couleur de la chlorophylle qu’il renferme passe du vert à un jaune-vert assez terne, cette substance ne constituant cependant pas en elle-même un aliment dont l’assimilation favorise certaines fonctions du corps humain. Si des vitamines hydrosolubles, notamment B et C, disparaissent lors de ces opérations, tel n’est pas le cas de la plupart des autres, ainsi que des minéraux liposolubles.

Selon la table de composition nutritionnelle des aliments coréens publiée par l’Office national de promotion rurale, 100 grammes de siraegi de radis blanchis contiennent 4 grammes de protéines, 9,8 grammes de glucides, 0,3 gramme de matières grasses et 10,3 grammes de fibres alimentaires, deux assiettes de siraegi fournissant ainsi à elles seules plus de la moitié des 25 grammes de l’apport quotidien recommandé en fibres alimentaires. Les vertus de la consommation hivernale de siraegi ne dureront certes pas jusqu’à l’été, mais les personnes sujettes à la constipation ne manqueront pas d’en ressentir encore les effets bienfaisants au printemps.

Les présents de la saison froide

Après avoir longuement bouilli, puis trempé dans l’eau froide, les siraegi peuvent être accommodés sous différentes formes, notamment avec des émincés de bœuf ou de porc, le tout étant relevé par divers assaisonnements, puis sauté conformément à la tradition qui veut que l’on consomme cette préparation au premier jour de pleine lune du Nouvel an lunaire.
© Getty Images Korea

Les siraegi, tels que nous les connaissons aujourd’hui, sont fort différents de ceux de l’époque révolue où, après avoir confectionné du kimchi, on recueillait et faisait sécher les fanes de radis chinois qui restaient sans rien en laisser. En vue de leur emploi culinaire, une nouvelle variété de radis chinois a été créée et fait l’objet de cultures spécifiques dont les produits présentent une texture plus légère et n’exigent pas d’être pelés avant la cuisson. Les plantes de ce type possédant un feuillage plus abondant, il convient d’en semer les graines en ménageant plus de place entre elles afin de laisser pousser suffisamment les fanes que l’on récoltera dans le but d’obtenir les siraegi, tandis que les tubercules ne seront récoltés que quarante-cinq à soixante jours après les semis, les plus petits d’entre eux étant parfois abandonnés dans les champs. Cette variété de radis chinois exclusivement destinée à la production de siraegi se caractérise par un goût plus prononcé et sucré que celui du légume habituel, ce qui le rend impropre à la confection de kimchi et mieux adapté à celle de dongchimi ou de mu jangajji, qui sont respectivement un kimchi de radis chinois à l’eau et du radis chinois mariné, ainsi qu’à celle de thé de radis chinois obtenu en déchiquetant les fanes, en les faisant sécher et en les torréfiant.

Si la production de siraegi, de même que sa consommation, a lieu dans toutes les régions coréennes, elle fait surtout la renommée de Yanggu, une ville de la province de Gangwon, et se situe plus particulièrement au cœur du bassin du Haean, cette partie du canton de Yanggu entourée d’un bouclier montagneux qu’un correspondant de presse américain appela le « Punchbowl » pendant la guerre de Corée. Aujourd’hui encore, cetteanglaise qui faisait allusion à la topographie d’un bassin d’érosion est encore usitée, ce qui est révélateur de l’importance des combats qui se déroulèrent en ces lieux, mais, dans l’esprit des Coréens, elle évoque davantage les fameux siraegi de Yanggu que les batailles sanglantes d’il y a sept décennies. Ces produits se distinguent par leur saveur particulièrement agréable résultant du bon ensoleillement dont bénéficie cette région, comme l’indique le vocable « yang », signifiant « soleil », de son toponyme.

À ce soleil généreux, s’ajoute le froid de l’hiver qui ne fait que rendre plus goûteux et sucré le radis chinois de Yanggu, car, pour lutter contre le gel, les végétaux réduisent la teneur en eau de leurs feuilles, tiges et racines, et inversement, ils élèvent celle du sucre et des acides aminés libres qui sont à l’origine de leur saveur agréable. Au cours des mois froids et moins ensoleillés qui s’écoulent de l’automne à l’hiver, la production de substances aromatiques acides diminue, ce qui explique les qualités gustatives du kimchi confectionné avec du chou ou du radis chinois récolté l’hiver, et il en va de même des siraegi qui, s’ils peuvent se consommer tout au long de l’année, n’en sont que meilleurs l’hiver.

De tendres légumes

Des siraegi pourront agrémenter un plat de spaghettis aglio e olio ou d’autres pâtes à la crème de leurs fanes croquantes découpées en petits morceaux, auxquelles s’ajoutera la note savoureuse d’une cuillerée d’huile de Perilla.
© blog.naver.com/catseyesung

En s’accoutumant au goût bien particulier des siraegi, on se rend bientôt compte qu’ils se marient merveilleusement avec toute sorte d’ingrédients, ce qui explique leur emploi très répandu dans la cuisine familiale, notamment dans la préparation de namul, juk, jjigae et doenjang guk, qui sont respectivement une salade étuvée, une bouillie, un ragoût et une soupe au concentré de soja, mais aussi pour l’ajouter à du riz avant sa cuisson, ce qui fait de ce simple aliment de base un véritable délice. Le siraegi bap s’obtient en découpant les siraegi en segments de deux à trois centimètres de longueur et en y ajoutant de l’huile de Perilla, après quoi on les mêlera au riz et on fera cuire l’ensemble. Pour rendre cette préparation plus savoureuse encore, on l’additionnera de sauce de soja à l’oignon vert, d’ail et de piment rouge en poudre.

À l’heure où les régimes cétogènes, c’est-à-dire pauvres en glucides, connaissent un grand succès, nombreux sont ceux qui pensent qu’une alimentation à base de céréales peut nuire à la santé et pourtant on ne saurait raisonnablement décrier ou dédaigner ces plantes dont la culture a joué un rôle primordial dans la naissance des civilisations. Les sociétés agricoles de nombreuses régions du monde ont en effet pour trait commun d’intégrer à leur alimentation de base les aliments à glucides complexes que sont le blé, le riz, la pomme de terre ou le manioc pour accompagner d’autres plats qui incitent à manger une plus grande quantité d’aliments. Mieux que de longues explications, une cuillerée de riz aux siraegi révélera les saveurs que recèle cette céréale dans toutes leurs nuances pour le plus grand étonnement du mangeur, lequel appréciera aussi l’association agréable à la langue du moelleux des siraegi avec la douceur du riz. En alliant cette fadeur au goût prononcé des siraegi, cette modeste préparation acquiert une saveur subtile qui donne envie, après s’en être régalé, de réfuter toute critique de la consommation de céréales.

Et que dire d’un plat de maquereau ayant mijoté sur un lit de siraegi et de radis chinois ! Si l’on sait que les ingrédients renfermant des substances aux saveurs proches se marient d’ordinaire très bien, il va sans dire que siraegi et radis chinois se prêtent particulièrement bien à cette harmonieuse union. Les premiers entrent également dans la composition du ragoût de kimchi au porc, qui s’avère alors d’un goût moins fort et acide que dans la recette habituelle. Enfin, consommés chauds en salade, les siraegi seront moins agressifs pour l’estomac que les salades de crudités, et ce, même consommés en grande quantité.

S’agissant d’ingrédients aussi délicieux, on ne saurait croire que leur consommation est limitée aux seuls Coréens. Dans les Pouilles italiennes, on mange également des fanes de navet sautées à l’huile avec des orecchiettes, ces pâtes en forme d’oreille. Pour ce faire, on lave et broie là aussi ces parties de la plante fraîche avec du parmesan, de l’ail, de l’huile d’olive et des pignons de pin, ce qui permet d’obtenir un pesto de radis chinois au goût acide qui résulte de l’emploi de feuilles de navet crues, mais qu’atténue l’ajout de noix.

Depuis des temps anciens, un principe universel veut que les ingrédients culinaires soient consommés avec parcimonie et en évitant tout gaspillage des denrées alimentaires quelles qu’elles soient. Autrefois relégués au rang de légumes du pauvre, les siraegi font aujourd’hui les délices des gourmets par leur texture et leur saveur agréables, à l’instar de la polenta, cette bouillie de farine de maïs dont se nourrissaient les paysans italiens au XVIe siècle, mais dont se régalent désormais les gourmets. De même, tout en appréciant le goût doux et acidulé des siraegi, on aura présente à l’esprit la place qu’occupaient ces légumes dans l’alimentation de jadis.

Jeong Jae-hoon Pharmacien et rédacteur culinaire
Shin Hye-woo Illustratrice

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